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Données urbaines : du conflit à la coopération

Données urbaines : du conflit à la coopération
Source de l’image : Global Partnership

La « donnée urbaine » (Urban Data) est la pierre angulaire des Intelligences Artificielles (IA) déployées en milieu urbain. A cet égard, les problématiques sous-jacentes à leur régulation font toutes intervenir des enjeux de gouvernance de la donnée. De nombreux acteurs rencontrés pendant mon tour du monde ont ainsi spontanément partagé leurs craintes, réflexions et espoirs quant à ce sujet.

Le processus de création et d’exploitation de la « donnée urbaine » est complexe car multisectoriel. Prenons l’exemple de l’analyse des usages dans le cadre du déploiement de Cityscope à Andorre (une plateforme d’analyse de données comportementales conçue par le MIT Media Lab). Les données territoriales ont été fournies par la Ville d’Andorre tandis que les données comportementales ont été collectées par un opérateur mobile (Andorra Telecom). Elles ont ensuite été agrégées et analysées par un centre de recherche (le MIT Media Lab) avant d’être, à nouveau, exploitées par la Ville d’Andorre. Le tout gravite autour d’un élément de réalité, en l’occurrence anonymisé : le citoyen. La pluralité des acteurs impliqués dans ce processus engendre naturellement des tensions autour de la « donnée urbaine ». Elle est à la fois d’intérêt général et personnelle, publique et privée.

Modélisation de données comportementales du territoire d’Andorre (MIT Media Lab)

Cette tension intrinsèque à la donnée urbaine a souvent engendré des conflits. Le cas des tests de voitures autonomes est symptomatique de ce phénomène. Plusieurs villes ont accueilli des expérimentations de mobilité autonome sur des portions de leur territoire sans jamais avoir accès aux données qu’elles ont générées (c’est, entre autres, le cas de la ville de Pitsburg avec Uber). Plus généralement, les municipalités n’ont que rarement accès aux jumeaux numériques de leur ville. A cela s’ajoute le manque de transparence sur les usages privés de l’open data. Les acteurs institutionnels rencontrés dans le cadre du rapport URBAN AI ont souligné les avantages considérables de cette pratique. Les services municipaux en sont souvent les premiers utilisateurs et elles permettent de susciter des innovations dont profitent les villes. Pour autant, les villes n’ont que peu de visibilité sur les projets privés qui utilisent l’open data comme support de recherche et d’expérimentation.

Portail de données ouvertes de la Ville de Montréal

On remarque donc que la tension devient un conflit lorsque l’un des acteurs impliqués dans la chaîne de valeur de la création de données urbaines essaye de se l’approprier pour en faire un usage exclusif. A cet égard, la collaboration et l’ouverture sont les premiers pas vers une gouvernance de la donnée démocratique et équilibrée. Ce principe sous-entend une harmonisation technologique entre les différentes parties prenantes. La ville, les entreprises et les centres de recherches doivent parler le même langage pour communiquer et collaborer. A San Francisco, l’organisme indépendant et à but non lucratif Open Transport Partnership a créé SharedStreets, un référentiel cartographique open-source. Les cartes digitales des différents acteurs de la mobilité interagissent difficilement entre elles, et encore plus avec celles d’une ville. D’abord parce qu’elles ne partagent pas le même langage informatique. Mais aussi parce qu’elles ne collectent pas nécessairement les même données. A cet égard, SharedStreets est un software interopérable qui facilite le transfert des données d’une carte à une autre. Il devient donc possible de superposer les cartographies. Des entreprises de mobilité (Uber, Lyft, Via) peuvent ainsi partager librement, ou dans le cadre d’un appel d’offres, des données sur leur flotte avec les villes (vitesse de déplacement moyenne, zones sollicitées). Inversement, la ville peut communiquer des informations (fermeture d’une route, nouvelles signalisations) qui seront automatiquement intégrées aux systèmes informatiques des entreprises.

Référencement d’une route temporairement fermée via SharedStreets

D’autres initiatives similaires fleurissent dans le monde. Le Département des Transports de la ville de Los Angeles (DTLA) a notamment développé son Mobility Data Specification . Ce logiciel a été réalisé en partenariat avec 4 autres villes américaines (Seattle, San Francisco, Santa Monica, Austin), Bird, Lime et la Harvard Kennedy School. Le Mobility Data Specification permet notamment au DTLA de communiquer avec ses partenaires de micromobilité (via des API). Il peut ainsi visualiser, en temps réel, des informations sur l’état de leurs flottes, vérifier que les vélos/trottinettes sont bien stationnés dans les zones prévues à cet effet et s’assurer qu’ils sont équitablement répartis sur le territoire (pour éviter des phénomènes de concentration). Le DTLA peut même interagir avec ses partenaires afin de mobiliser leurs flottes en cas d’événements urbains susceptibles de produire une forte demande localisée. Dès lors, la ville de Los Angeles est en mesure d’intégrer la micromobilité à son urbanisme et à son plan de mobilité plutôt que de la subir. Conçu en « opensource », le Mobility Data Specification du DTLA a été téléchargé et utilisé par plus de 70 villes dans le monde un mois seulement après son lancement. Ce projet a donné naissance à l’Open Mobility Foundation, un consortium de villes et d’entreprises qui mutualisent leurs ressources pour créer des outils de gestion de la mobilité urbaine ouverts et collaboratifs.

SharedStreets et le « Mobility Data Specification » ne sont pas que des outils de régulation. Ils ouvrent la voie à une collaboration ouverte entre les acteurs de la ville. Ils montrent également qu’une coopération entre les villes est possible et souhaitable. Dans chacun de ces cas, la « donnée urbaine » est source de rassemblement et non de division.

 

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